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1535 : la première Bible en français


Dans l'histoire de la Bible en français, Olivétan est le premier à avoir donné au peuple français une traduction directement établie d'après les textes originaux hébreux et grecs. Sa traduction historique a servi de fondement à toutes les autres traductions françaises de la Bible.

En juillet 1532, deux vaudois qui rentraient de mission informèrent leur communauté que les réformateurs de suisse professaient la même doctrine évangélique qu'eux. La communauté vaudoise fut donc vivement intéressée par écouter leur prédication. Elle convia Guillaume Farel et son ami Saunier à venir prêcher devant une grande assemblée réunie en synode à Chanforans le 12 septembre 1532. Se retrouvèrent là des vaudois de toutes origines, nobles, seigneurs et paysans, de Bourgogne, de Lorraine, de Calabre ou de Bohême.

Guillaume Farel (1489-1565) était un gentilhomme dauphinois cultivé, courageux et impulsif, disciple de Lefèvre d'Étaples et membre du groupe de Meaux, qui avait traduit en latin avec Levèfre d'Etaples une Bible, publiée en 1528. Farel avait été professeur de grammaire et de philosophie au collège parisien du Cardinal-Lemoine mais avait rompu avec la tradition catholique dès 1521. La violence de son langage et son impétuosité lui valaient partout des ennemis. Farel fut chassé de Bâle en partie à cause d'un conflit avec Érasme, puis du pays de Montbéliard, où il diffusa la Réforme et publia en 1524 « Le Sommaire », première œuvre dogmatique protestante en langue française. Après la dispute de Berne en 1528, les autorités bernoises le chargèrent de réformer toute la Suisse romande, œuvre qu'il réalisa surtout à Genève avec l'aide de Calvin et à Neuchâtel avec celle de Viret, non sans difficultés en raison de sa raideur et des résistances tenaces qu'il rencontrait.

La prédication de Farel chez les vaudois fut reçue très favorablement et une déclaration commune très nettement évangélique fut adoptée.

A cette occasion, les barbes vaudois montrèrent à Farel les précieux exemplaires manuscrits de l'Ancien et du Nouveau Testaments qu'ils possédaient, avec une copie de la Vestus Italia traduite vers l'an 157 sur les Manuscrits Originaux de l'Église d'Antioche. Ils étaient écrits en langue vernaculaire (langage du peuple). Farel trouvait dommage qu'ils n'en possèdent que de rares copies. Elles ne pouvaient servir qu'à peu de gens. Farel savait qu'en France des travaux de traductions bibliques avaient déjà été entrepris : lui-même et ses amis Gérard, Roussel, Michel d'Arande, Simon Robert et Vadasta y avaient travaillé en 1525. Roussel avait déjà traduit le Pentateuque. Mais les travaux étaient restés sans lendemain.

C'est donc à Farel et aux vaudois que l'on doit l'idée de rétablir un texte biblique en français, qui fût basé sur les textes originaux et qui serait imprimé pour une plus grande diffusion tant en pays vaudois qu'en France, pays où la parole de Dieu était très peu présente dans le grand public.

En octobre 1532, les vaudois Martin Gonin, pasteur d'Angrogne, et Guido se mirent en relation avec l'imprimeur genevois Pierre de Wingle. En mars 1533, celui-ci obtint l'autorisation du conseil de la Ville d'imprimer une Bible française.

Entre temps, les vaudois des Alpes avaient organisé une immense collecte de fonds parmi toutes les communautés de la diaspora vaudoise, et rassemblé une immense somme d'argent pour l'impression (800 écus d'or soit l'équivalent de 20 ans de salaire d'un ouvrier spécialisé de l'époque, selon l'estimation de J.F. Gilmont). C'est Farel qui fut chargé de coordonner le projet.

Comment Pierre-Robert Olivétan se mit au travail à la fin de l'année 1533

Farel n'avait pas envie d'imprimer une simple traduction de la Bible latine de Lefèvre d'Etaples : ce texte était basé sur la version latine de la Vulgate mais cependant avait été corrigé en suivant les textes grecs du Nouveau Testament. Farel préférait qu'une nouvelle traduction soit réalisée directement à partir des textes originaux hébreux et grecs. Il lui fallut une année pour convaincre son ami Pierre-Robert Olivétan, né vers 1506 sous le nom de Louys Olivier, de se lancer dans ce travail considérable.

Farel avait connu Olivétan vers 1529 à travers une lettre de présentation que lui avait adressée Boniface Wolfhard. Voici ce qu'il était écrit de lui : « Ce jeune homme, qui aime d'un amour ardent les saintes lettres, et chez lequel on trouve une piété et une intégrité extrêmes, se dérobe en ce moment à sa charge de prédicateur, comme étant au-dessus de ses forces, soit qu'il use en cela de modestie, soit qu'il ait une parole peu facile ».

En effet, Olivétan était peu doué pour la prédication en chaire. En revanche, c'était un homme très savant en hébreu et en grec qu'il avait étudié de 1528 à 1531 à Strasbourg. En 1531, il alla à Neuchâtel où le conseil de la ville l'engagea comme maître d'école. L'insistance de Farel fut sans relâche pendant les premiers mois de 1533. Olivétan ne se sentait pas capable de traduire la Bible, par modestie surtout.

Puis, il comprit que cette insistance était un véritable appel de Dieu. Il accepta donc de traduire la Bible. Il s'installa aux Vallées, dans les Alpes, chez les vaudois. Olivétan avait à sa disposition de nombreux anciens manuscrits de Lefèvre d'Étaples, dont un de la Vestus Italia ou Version en Vieux Latin, traduite en 157 ap. J.C. sur les manuscrits de l'église d'Antioche. Il dit expressément s'être servi de versions latines autres que la Vulgate. S'il ne précise pas davantage, c'est uniquement par prudence évangélique. Il consulta aussi la Bible Allemande de Martin Luther, la Teplice Bohémienne, et la Version Romanche des Vaudois. Pour le texte Hébreu de l'Ancien Testament, il disposait des trois premières éditions imprimées du Texte Massorétique (1488, 1491, 1494), dont la troisième fut utilisée par Luther. Pour le Grec du Nouveau Testament, il avait accès aux quatre premières éditions du texte d'Érasme de Rotterdam (1516, 1519, 1522, 1527) qui devint connu comme le Texte Reçu. Olivétan travailla avec des dictionnaires de l'époque, le Dictionarium hebraicum de S. Munster, publié à Bâle en 1525 et le Thesaurus linguae sanctae de S. Pagnini, publié à Lyon en 1529. Il termina le travail le 12 février 1535. C'est à cette date qu'il rédigea la belle préface qui accompagne la première édition de sa Bible.

La première Bible française traduite sur les textes originaux est imprimée en 1535

L'imprimeur Wingle édite la Bible d'Olivétan à Serrières, près de Neuchâtel où le traducteur se rend en mars 1535 pour vérifier les épreuves d'imprimerie. En juillet, il retourne aux Vallées. De 1536 à 1538, nous savons qu'Olivétan réside à Genève où il redevient maître d'école et précepteur des enfants de Chautemps, un conseiller municipal.

Olivétan part ensuite pour l'Italie en 1538 et nous perdons sa trace. La nouvelle de sa mort, survenue mystérieusement en août, peut-être à Rome, arrive en France en janvier 1539. Ses amis et son cousin Calvin, alors âgé de 25 ans, furent effondrés : ce « Fidèle serviteur de l'Église chrétienne, de bonne et heureuse mémoire » selon les mots de Calvin, venait de rejoindre le Seigneur, à l'âge de 32 ans seulement, pour se reposer de son œuvre.

En dehors de ces considérations doctrinales, la traduction d'Olivétan n'était pas parfaite. Lui-même le savait bien. Mais il avait travaillé dans des conditions difficiles et avec une rapidité incroyable parce que l'enjeu était de taille : la Réforme était commencée depuis 5 ans à Neuchâtel et il n'y avait toujours pas de Bible en français !

De 1535 à 1538, Olivétan apporta de nombreuses corrections, surtout pour le Nouveau Testament. Les spécialistes du XIXe siècle ont jugé que sa traduction de l'Ancien Testament était un chef d'œuvre, car il maîtrisait bien mieux l'hébreu que le grec. Une édition révisée du Nouveau Testament fut publié en 1538 par Olivétan mais la mort le prit la même année. Qui allait réussir à améliorer son œuvre ?

Son cousin Calvin trouvait que la traduction d'Olivétan était « rude et aucunement éloignée de la façon commune et reçue ». Il publia en 1560 une nouvelle Bible d'Olivétan après en avoir dirigé les travaux de révision. Mais il émit un vœu : « Mon désir serait que quelqu'un ayant bon loisir et étant garni de tout ce qui est requis à une telle œuvre, y voulût employer une demi-douzaine d'ans, et puis communiquer ce qu'il a fait à gens entendus et experts, tellement qu'il fût bien revu de plusieurs yeux ».

Malheureusement, il ne se trouva personne pour entreprendre ce profond travail de révision. 100 ans plus tard, le grand pasteur protestant Claude commença ce travail avec un grand savant catholique Richard Simon, mais la révocation de l'Édit de Nantes interrompit les travaux. Louis XIV venait de proscrire le protestantisme de France et les huguenots commencèrent à fuir la persécution des dragonnades.

L'influence que la Bible d'Olivétan exerça sur les autres traductions

Dès la parution de 1535, la Bible d'Olivétan était tellement réussie pour l'époque qu'elle provoqua un petit raz-de-marée ! En 1562, la Bible de Genève était publiée en anglais par des exilés britanniques qui avait utilisé comme modèle la Bible d'Olivétan. Le hollandais Hackius se basa aussi sur Olivétan pour réviser la Bible de Hollande.

Pendant près de 250 ans, toutes les éditions protestantes de la Bible en français ont été basées sur le travail d'Olivétan. C'est seulement à la fin du XVIIe siècle que le Synode des Églises Wallonnes confia au pasteur David Martin la tâche de remettre en français courant la Bible d'Olivétan devenue presque illisible pour un lecteur contemporain. La Bible de David Martin, disponible encore aujourd'hui pour le lecteur attentif du XXIe siècle, a gardé le même esprit de piété, de ferveur et d'honnêteté.

Note bibliographique :
Sur l'histoire de la Bible en France, on trouvera beaucoup plus d'informations dans le livre de Daniel Lortsch, Histoire de la Bible française, St Légier, P.E.R.L.E., Librairie-éditions Emmaüs, première édition 1910, rééditée et mise à jour en 1984, en vente par correspondance sur Internet. On lira aussi avec intérêt le livre de Gabriel Audisio «Les vaudois : histoire d'une dissidence», Fayard, 1989, qui consacre un chapitre à Olivétan et à la traduction de 1535.


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