La Bible en France avant le temps de la réforme
On appelle « Réforme » un puissant mouvement de pensée évangélique qui apparaît en Europe au début du XVIe siècle, dans le courant des années 1515-1530. En Allemagne autour du moine catholique Martin Luther, en France autour de l'Evêque de Paris Guillaume Briçonnet, un certain nombre de lettrés redécouvrent la Bible, non plus à travers la Vulgate Latine mais à travers de nouveaux manuscrits hébreux et grecs. C'est une révolution qui se prépare.
Jusqu'à cette époque, quasiment toute l'Europe est catholique. Il existe ici et là des petits groupes religieux persécutés car considérés comme hérétiques par le clergé romain : les Vaudois sont de ceux-là (les communautés de Lyon et de Provence possédaient quelques copies partielles de la Bible basées sur la Vulgate latine, que l'on connaît d'après des études philologiques réalisées au XIXe siècle par Samuel Berger). Mais quelles que soient les différences doctrinales de ces groupes par rapport à l'Église du Pape, on ne connaît la Bible qu'à travers la traduction latine officielle de l'Église Romaine : la « Vulgate de Saint Jérôme ».
La Vulgate est très ancienne : elle date de la fin du IVe siècle. Avant cette époque, l'Église d'Occident possédait un ensemble de textes bibliques en latin qui dérivait d'une Bible dite « Africaine », que nous connaissons à travers les écrits des « Pères de l'Église » que sont Irénée, Origène, Tertullien, Cyprien.
On appelle Vetus Latina cet ensemble de traductions occidentales et africaines. C'est ce corpus que Jérôme décida de réviser. Il commence son travail à Rome sous le pape Damase puis se fixe définitivement en Judée, en 386 de notre ère. Il perfectionne sa connaissance du grec lors d'un séjour de 6 ans à Antioche. Face à la mauvaise qualité des textes de la «Vetus Latina», Jérôme a recours aux textes grecs et hébreux qu'il trouve, principalement à partir des Hexaples d'Origène, une traduction en 6 colonnes des années 200-250 ap. JC.
La Vulgate de Jérôme devient rapidement la seule référence biblique de toute la Chrétienté occidentale. Sous l'impulsion de Charlemagne, au début du IXe siècle, la Vulgate fut corrigée : les clercs de l'empereur franc rectifièrent de nombreuses erreurs de copistes contenues dans la version latine qu'il utilisait.
Tout le Moyen-Age a donc vécu la foi chrétienne sur la base de la Vulgate latine de Jérôme.
L'Histoire de la Bible en France connaît une nouvelle étape à la fin du XVe siècle : de nombreux lettrés du monde grec doivent se réfugier en Occident quand les Turcs envahissent l'Empire d'Orient et font chuter la capitale de Constantinople en 1452. Ces lettrés emmènent avec eux en Occident des manuscrits grecs de la Bible : à Venise, au début du XVIe siècle, des éditeurs impriment ces textes : les lettrés d'Europe découvrent enfin de nouveaux textes hébreux et grecs pour étudier la Bible.
Qu'appelle-t-on Texte Reçu ?
Parallèlement avec le mouvement religieux de la Réforme se développent donc en Europe de nouvelles recherches bibliques. C'est une des composantes essentielles du travail de ceux que l'on appellera bientôt « les Humanistes ». Avec Luther, Erasme, Robert Estienne, Lefèvre d'Etaples, Guillaume Farel, Olivétan, Calvin, s'épanouit la philologie, étude critique des textes qui se considère comme une science à part entière. Des dictionnaires de langue hébraïque sont publiés par des savants juifs comme Elia Levita ou des hébraïsants chrétiens comme Sébastien Münster et Paul Büchlein : 7 paraissent de 1515 à 1580 ; 15 autres de 1580 à 1630.
Toutes les Bibles publiées dans le monde réformé de cette époque ont pour caractéristique d'appartenir à un tronc commun de manuscrits grecs, pour le Nouveau Testament, qui est nommé « Texte majoritaire ». Les travaux des humanistes chrétiens du XVIe siècle ont débouché sur des éditions d'un texte grec « vérifié ». Ce texte a été appelé « Texte Reçu » pour le première fois dans la préface du Nouveau Testament grec d'Erasme publié après correction par Heinsius en 1633.
Le premier travail philologique d'Erasme de Rotterdam sur la Bible remontait déjà à l'année 1516 : il publia à cette date une édition grecque du Nouveau Testament réalisée en étudiant de nombreux manuscrits qu'il rechercha à travers d'incessants voyages. Avec cette première édition d'un Nouveau Testament revu non plus sur la « Vulgate », mais directement sur des manuscrits grecs, un mouvement de pensée profond vit le jour : Luther lança la Réforme en 1517, et 5 ans plus tard publia sa traduction du Nouveau Testament en allemand. En 1524, l'élan se poursuivit avec la parution du Nouveau Testament de la Bible de Zurich.
Le Texte Reçu (TR) repose donc sur l'ensemble des manuscrits grecs appelés « Texte gréco-byzantin » ou « Texte Majoritaire » (TM). Ces manuscrits proviennent d'Asie mineure et de Grèce, c'est-à-dire des territoires où furent fondées les premières églises chrétiennes apostoliques au premier siècle de notre ère.
L'Asie mineure des Ier et IIe siècles a été le cœur du Christianisme. Les chrétiens connaissaient l'importance de cette recommandation de l'Apôtre Paul à Timothée : « Retiens dans la foi, et dans la charité qui est en Jésus-Christ, le modèle des saines instructions que tu as entendues de moi. Garde le bon dépôt, par le Saint-Esprit qui habite en nous. » 2 Timothée 1.13-14
Nous pouvons croire, en l'absence de toute donnée historique qui le réfuterait, que la transmission des écrits de la Parole de Dieu a été soigneusement effectuée. Les premiers copistes chrétiens ont bénéficié de la présence de nombreux Juifs dans ces territoires : à leur contact, ils ont appris les techniques pour copier fidèlement les Écrits Saints.
Dans les pays d'Asie Mineure, où le climat est assez humide, les copies sur parchemin, ou papyrus avaient une durée de vie de 150 ou 200 ans seulement. Cela contraignait les copistes à refaire sans cesse de nouveaux exemplaires. Les manuscrits les plus anciens en notre possession sont donc d'une date de création relativement tardive, du VIIIe au XVe siècle. On constate cependant, que plusieurs manuscrits du Ve et VIe sur papyrus ont les formes typiques du TM. Cela confirme la régularité de ce corpus : la cohérence entre les différents manuscrits du TM est très grande, quel que soit leur âge ou leur provenance.
Pour les écritures de l'Ancien Testament, le Texte Massorétique fut la référence indiscutable. Le plus vieux manuscrit date du Xe siècle. Il est l'œuvre des Massorètes, une communauté de copistes juifs qui ont perpétué la tradition millénaire de la copie biblique. Dès la fin du XVe siècle, le texte massorétique hébreu de la Bible fut imprimé à plusieurs reprises et servira aux humanistes pour traduire la Bible. Quelle valeur peut-on accorder aux copies hébraïques des Massorètes ? La Bible nous en donne la réponse : la Parole de Dieu elle-même rend témoignage que l'on peut vraiment faire confiance à leur travail. Voici ce qu'écrit Paul, sous la conduite du Saint-Esprit : « Quelle est donc la prérogative du Juif, ou quelle est l'utilité de la circoncision ? Elle est grande en toute manière, surtout en ce que les oracles de Dieu leur ont été confiés. » Romains 3.1-2
Les Bibles de la Réforme jusqu'à la Bible Martin de 1707
A partir de 1515, sont publiées des Bibles nouvelles : Bible polyglotte d'Alcala (1514-1522), Bible allemande de Luther (1524), Bible rabbinique de Venise (1526), Bible latine de Robert Estienne (1527), Bible française de Olivétan (1535), Bible grecque de Bâle (1545).
Le plus grand lettré français ayant travaillé sur la Bible est Calvin : en 1551, il publie une révision de la Bible de son cousin Olivétan. Cette traduction deviendra la principale Bible des protestants francophones : Robert Estienne la publie en 1553 avec le système original de la numérotation des versets qui sera conservé jusqu'à aujourd'hui.
En 1588, Théodore de Bèze révise une nouvelle fois le texte d'Olivétan : c'est cette version qui devient alors ce que l'on appelle « la Bible de Genève ». La Bible de Genève est ensuite imprimée à la Rochelle en 1606, à Saumur en 1614, à Sedan en 1633, à Amsterdam en 1635. En 1644 la Bible de Genève est revue par Diodati avec des annotations abondantes. En 1652 a lieu la première impression parisienne de la Bible de Genève.
17 ans plus tard, est publiée la plus belle Bible du XVIIe siècle : il s'agit de la monumentale Bible de Genève de 1669 publiée chez les célèbres imprimeurs Elzévier par les pasteurs français Samuel et Louis Des Marest. Cette Bible comporte toutes les notes théologiques franco-flamandes des éditions antérieures.
Enfin, 30 ans plus tard, à la demande des Eglises Wallonnes francophones, David Martin se livre à son tour à une révision de la Grande Bible de Genève. Il publie le Nouveau Testament en 1696, puis l'intégralité de la Bible en 1707, à Amsterdam. Après décision du Synode de Leuwarden, la Bible de David Martin devient dès 1710 la version officielle des églises protestantes de langue française. En 1744, Pierre Roques, pasteur à Bâle, publiera une édition de la Bible Martin, avec quelques retouches de langage.
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